lundi 11 mars 2013

Etre Hartani aujourd’hui

Dernièrement, on a beaucoup parlé dans notre pays de l’esclavage et des Haratines. Beaucoup de nos citoyens ont fait preuve d’étonnement et de manque de compréhension envers leurs revendications. Beaucoup de Maures disent que l’esclavage n’existe plus, qu’il existe des lois qui l’incriminent. Pourquoi donc, s’interrogent-ils, tout ce battage ? N’avons-nous pas coexisté en paix durant des siècles? Qu’est-ce qui justifie ce discours raciste? A quoi sert l’incinération de livres et l’offensive dont font l’objet certains oulémas maures? Tout cela n’est-il pas du passé?



Pour leur répondre, il faut d’abord leur expliquer la signification de la condition d’ « esclave » ou d’ « hartani ». Ils doivent pouvoir se mettre à la place des autres pour mieux comprendre les choses.



Être hartani ou réduit en esclave signifie qu’aux yeux de la communauté, tu as un déficit de droits et tu te situes au bas de l'échelle sociale.

Être hartani ou réduit en esclavage signifie que tu n’existes que pour des têches physiques : élever les troupeaux, creuser les puits, planter les palmiers et égoger et dépecer les animaux.

Être hartani ou réduit en esclavage signifie que tu es privé de ton droit à l’éducation et des droits de propriété : tu ne peux posséder ni les animaux que tu élèves ni les terres que tu cultives.

Être hartani ou réduit en esclavage signifie que ta religion est incomplète : tu n’as pas à t’acquitter de devoirs religieux tels que la Zakat, le pèlerinage, la grande prière du vendredi… Même le mariage de ta propre fille est susceptible d’être annulé si tes maîtres ou les siens n’ont pas été consultés.

Etre hartani ou réduit en esclavage signifie que tu n’es pas membre à part entière d’un groupe tribal. Si la chance t’accompagne, tu n’appartiens qu’à un seul groupe. Mais tu peux aussi être la propriété de plusieurs : un quart de toi appartient à untel, une partie de toi est offerte à un autre dans le cadre d’une alliance ou d’un mariage…

Être hartani ou réduit en esclavage signifie que n’importe quel quidam, même s’il ne te connait pas, peut se permettre de te donner des ordres et s’attend à ce que tu lui obéisses.

Être enfant hartani ou réduit en esclavage signifie que tu fais le travail domestique pour la famille du maître ou que tu conduis une charrette à âne, pendant que les autres enfants vont à l'école, s’amusent et jouent ensemble.

Être hartani ou réduit en esclavage signifie que tes frères et sœurs sont dispersés dans différentes familles pour les servir et servir leurs descendants. Cela signifie que tu dois supporter de voir un gamin de 10 ans envoyer ta chère maman pour lui acheter des bonbons à la boutique ; que tu la vois porter sur elle les enfants d’autrui alors que personne ne te porte, toi, son propre fils ; que tu vois les jeunes maures respecter les personnes âgées et s’empêcher de fumer en leur présence, sauf avec ton grand-père qu’ils enfument et à qui ils empruntent insolemment des allumettes.

Cela signifie que tu vis dans une société qui enracine dans ton esprit que tu es inférieur aux autres, que la Raison n’existe pas au sein des Noirs et qu’il existe pas mal de choses qui échappent à ta modeste perception...

Etre hartani ou réduit en esclavage signifie que tu es inapte, aux yeux de cette société raciste, à épouser ses filles, même si tu es ministre ou quelque-chose de similaire.

Être hartani ou réduit en esclavage signifie que tu dois supporter de voir tes amis d'enfance, qui ont grandi avec toi dans le même quartier, monter les échelons hiérarchiques, alors que tu trimes dans le même bureau pendant vingt ans, si bureau il y a.

Etre hartani ou réduit en esclavage et servir dans l’Armée de ton pays signifient que tu supportes d’être exploité par un officier, de laver ses vêtements ou de conduire sa voiture.



Toutes ces pratiques ont été exercées au nom de la religion, avec l’approbation et la bénédiction des hommes du clergé (oulémas). Nous ne devrions donc pas être surpris par l’incinération de livres esclavagistes par les esclaves. A leur place je ferais la même chose, voire pire.



Cher lecteur:

Mettez-vous à leur place et réfléchissez bien à toute cette injustice pratiquée dans notre société au fil des ans ! Que feriez-vous si vous étiez à leur place? Accepteriez-vous cet état de fait ? Eux, ils ne l’acceptent plus. Et tout intellectuel qui se respecte dans ce pays ne peut pas l'accepter.



Frères haratines :

Levez-vous pour récupérer vos droits, pour libérer nos frères et les vôtres de l'esclavage et de l'ignorance. Faites-le pour une Mauritanie source de fierté, où l’homme n'opprime point son frère.

L’aube finira forcément par se lever.

Inévitablement, les Haratines se léveront, aussi.

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